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S’envoyer
en l’air pour toujours Fendant les airs à bord d’un 747 sur pilote automatique, Tender Branson, seul passager à bord, ouvre le chapitre 47 du récit de sa vie sous la plume apocalyptique de l’auteur le plus dérangé de sa génération. Condamné d’avance, le narrateur livre un compte rendu détaché à la boîte noire du Boeing qu’il vient de détourner. Dernier survivant de la secte millénariste des Creedish, Tender Branson n’a plus qu’un but : tenter d’assimiler ce destin extraordinaire et livrer au monde un testament sans fard avant le crash inéluctable quelque part dans le bush australien. Pas la peine d’attacher votre ceinture, vous entamez votre descente vers l’altitude zéro et le suicide le plus spectaculaire de tous les temps. Pas de stress outre mesure dans sa voix, plutôt une sorte de soulagement. Réconfort de voir le bout du tourbillon mondain qui l’a porté jusqu’aux épuisants sommets de la célébrité depuis le suicide programmé de l’avant-dernier membre de la secte… Délivrance d’accomplir enfin l’acte suprême vers lequel le pousse toute son éducation spirituelle : rejoindre les siens dans les bras de Dieu… Ou alors, ce besoin aussi ironique que primordial animant l’être humain : si le vivant est en flux perpétuel, la seule façon de terminer vraiment quoi que ce soit serait la mort. Kool-Aid anyone ? Jonestown, Heaven’s Gates, Waco, Ordre du Temple Solaire… La communauté Creedish ne décroche pas forcément la palme de l’originalité dans sa méthode d’extermination des fidèles, mais elle a cette particularité de voir le processus se poursuivre de lui-même après le massacre du gros des troupes : dans toute l’Amérique, les adeptes tombent les uns après les autres, et ce malgré le programme de protection des survivants mis en place par le gouvernement. Tender Branson, conformément au prénom symptomatique du destin de tous les fils cadets nés en territoire Creedish, a passé sa vie comme employé de maison depuis ses dix-sept ans. Humble domestique, obéissant et solitaire, il est maître dans l’art de dissimuler ses déviances. Qui parmi les désespérés suspendus au téléphone pour un ultime S.O.S pourrait soupçonner l’état mental de leur interlocuteur avant le coup de grâce ? C’est pourtant la mort que distribue Tender Branson à travers sa hotline du dernier espoir, seule solution logique et distrayante aux pathétiques problèmes de ses contemporains. «Cendres, tu redeviendras cendres, poussière, tu redeviendras poussière, c’est la base du recyclage.» A l’insu de son plein gré Et c’est par cette voie détournée que son chemin croise celui de Fertility Hollis, mystérieuse jeune femme dont les prophéties se réalisent toujours. «Elle est l’œil blasé du cyclone que forme le monde autour d’elle.» Rien ne peut la surprendre, même pas l’ironie du destin qui va transformer Branson en nouveau messie médiatique, esclave du culte de la personnalité. Entre les mains habiles de son agent, l’ancienne victime du lavage de cerveau Creedish se perd de plus en plus profond dans le gouffre de la duplicité humaine. Gravissant sans espoir les marches infinies du step-master pour atteindre les sommets de la gloire, ânonnant sur les ondes les réponses formatées du prompter, les veines gonflées du dernier cocktail stéroïdes-amphétamines, dédicaçant des millions d’exemplaires de la nouvelle Bible du ridicule, Tender Branson prie pour vous aider à perdre du poids ou retarder votre calvitie, pour déclencher votre érection ou pour vous trouver une place de parking. Après vous être tour
à tour, apitoyé, payé la tête, et énervé
contre Tender Branson, vous devriez finir par le rejoindre sur le terrain
vague des interrogations existentielles, coincé entre le destin
et le libre arbitre, confronté aux terreurs finales du déprogrammé.
Puis si vous n’avez pas triché, au bout il y aura peut-être
la liberté, ou peut-être un dernier coup de vice de ce
nihiliste de Chuck Palahniuk… |
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Chuck Palahniuk, Survivor, Vintage Random House, 2000, 289 p. |
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