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Avant
la sculpture, il y a le dessin. Mais tout en restant fidèle au crayonné
comme étape primordiale de son processus de création, Jean-Marie Anglès
donne sa véritable mesure dans le volume. Le spectateur explore des yeux
les "dioramas", véritables petits tableaux en relief, comme il se perdrait
dans le recoin miniature d'un univers à l'exotisme familier. Une simple
feuille de couleur sert de fond au décor qui se résume à une évocation par
quelques objets significatifs. La silhouette ronde d'une porte dont les
découpes se fondent en symétrie claire obscure, un vase Ming au premier
plan sur lequel rebondit le regard, et voici l'écrin évident d'un film noir
où dérivent les volutes fatales d'une espionne chinoise au galbe fuselé. Comme l'explique avec flamme l'artiste, le 7ème art joue un rôle majeur dans son inspiration… J.M. Anglès : "Le cinéma influence totalement mes œuvres car on peut les considérer comme des petites scènes de films qui n'existent pas. C'est pour cela qu'il est important qu'elles soient en volume. Et si on voyait l'envers de ce que je montre, on pourrait s'imaginer une équipe complète de tournage. Le cinéma "expressionniste" allemand (Nosferatu de Murnau, toute la période allemande de Fritz Lang ) m'intéresse pour la stylisation des cadres, des costumes et la place que tiennent les acteurs dans des décors non réalistes. Autre source d'inspiration: le cinéma-bis des années 60 (Margheriti, Riccardo Freda, Jess Franco, Mario Bava) et tous les sous-James Bond psychédéliques, "production franco-germano-italo-hispanique ". Ce que j'aime dans ces films, c'est que le style des 60's est poussé dans l'extrême jusqu'à la caricature ainsi que l'économie de moyen qui contraint à être ingénieux et à créer une atmosphère avec 3 francs 6 sous… Très important aussi, les films indiens "Bollywood" des années 70 avec ces femmes choucroutées, dansant, chantant dans des décors hallucinants… Je veux ajouter deux films japonais cultes: "Le lézard noir" (avec une brève apparition de Mishima en homme empaillé, partenaire pour l'occasion d'un célèbre travesti japonais dans une ambiance totalement pop) et "Les diablesses en collant noir". Pour en arriver à mon film préféré, il s'agit du Casanova de Fellini, qui viré en noir et blanc pourrait faire croire à un film allemand des années 20 par son décor très expressionniste mais bien que l'action se situe au XVIIIème siècle, on voit que le film date des années 70… C'est un XVIIIème siècle des années 70 ! Ce qui me fascine chez Fellini, c'est sa capacité à recréer un monde de toute pièce, un peu comme ce que j'essaie de faire avec mes œuvres." Jambes démesurées, torses minimalistes, l'anatomie des personnages qui peuplent les dioramas nargue les règles de la perspective. Le défi de ce procédé caricaturiste consiste à atteindre l'harmonie dans la disproportion. Perfectionniste, cet artiste du fragile est régulièrement en proie au doute pendant la phase d'exécution. Armature de fer sur laquelle il modèle d'abord une pâte, sculpture patiente de la forme puis retouche et ajout de détails, ponçage, mise en couleur à l'acrylique, les personnages prennent corps simultanément au cadre, réalisé à base de matériaux récupérés. Un lion tout en courbes bondit à travers le cerceau du dompteur tandis que s'affaire une troupe de saltimbanques, un vieillard hindou croise une Barbarella court vêtue sur la planète Mars, derrière un Kafka à l'expression terrible se découpent deux antennes souples au-dessus d'une carapace chitineuse, un couple virevolte avec désinvolture sous les spots du Tiki Bar, un chiot joueur tire sur la laisse d'un dog-sitter robotique pendant la promenade… Au fil des années, l'imaginaire du sculpteur fréquente différents univers mais s'inspire surtout du passé car il y trouve la distance nécessaire pour exagérer et caricaturer la réalité. J.M. Anglès : "Au début, j'évoluais dans un univers baroque avec personnages en perruque, intégrant toujours un petit détail insolite ou décalé. Ensuite vint une période ou je m'inspirais des paravents japonais Nambam (barbares du sud) ; c'est ainsi que les japonais appellent les premiers occidentaux venus au Japon au XVIème siècle. Là, il y avait une double distance: la distance des occidentaux vus par les orientaux et la distance des siècles. J'aime bien représenter des choses aimables au premier regard qui lors d'un examen attentif, se révèlent un peu "noires" mais toujours enrobées de sucre. Par exemple, j'ai fait un seigneur du XVIéme siècle se baladant dans un jardin tenant en laisse un chien, il s'agissait en fait de deux frères siamois collés l'un à l'autre, ayant une jambe en commun et le chien un carlin bicéphale. Pour l'instant, je suis dans ma période "sous-culture" pop des 60's !". Coiffé d'une toque d'astrakan synthétique, Jean-Marie Anglès écume les musées et galeries parisiens. Il déplore le fossé qui sépare désormais les artistes contemporains de leur public, et situe la disparition du dialogue aux abords du XIVème siècle. Ses références esthétiques sont variées, il en parle avec passion, mais il préfère les œuvres aux artistes et n'aurait souhaiter en rencontrer aucun… J.M. Anglès : "Je fais partie des gens qui pensent que les artistes, en tant qu'être humain valent moins que leurs œuvres et j'aurais peur d'être déçu ! Mes influences vont de Winsor Mc Cay (créateur du célèbre Little Nemo) aux illustrateurs de "SIMPLISSISSIMUS", journal paru du début du XXème siècle jusque dans les années 30. Parmi les dessinateurs il y avait Paul Bruno, Karl Arnold, Erich Schilling et surtout Olaf Gulbransson. Ce journal satyrique est très peu connu en France, je peux simplement dire que nombre de ses collaborateurs étaient également des peintres expressionnistes. Ce qui me plait dans leur style, notamment Gulbransson, c'est leur élégance, leur économie de moyen et l'équilibre dans le dessin des zones vides, des aplats." Tandis qu'Ennio Morricone succède à Nino Rota sur la platine de son petit appartement, l'artiste ne parvient pas à inventorier mentalement l'ensemble de ses créations. Offertes à des amis, vendues à quelques clients privés, seules les dernières sont exposées chez lui, les autres finissent souvent démontées et "rangées" au-dessus d'une armoire. Il suppose que c'est peut-être un manque de confiance en soi qui l'empêche encore de passer au stade de l'exposition. Créatif mais aussi contemplatif, cet artiste rêve de passer sa vie dégagé des contingences matérielles, à visiter des expos, à lire, aller au ciné, à voyager ou observer les pigeons dans un square plusieurs heures durant… Il s'estime désespérément inadapté au monde qui l'entoure, mais peut-être est-ce plutôt l'époque qui traite les hommes comme des marchandises! Pour l'instant, c'est vers la réalisation de modèles destinés au marché du jouet et vers l'illustration de campagnes publicitaires (comme celles de la Caisse d'Epargne ou d'Albin Michel) que s'oriente sa production. En collaboration avec des photographes comme Pascal Legrand d'ADN23, l'accent est mis sur la lumière, l'intégration d'éclairages originaux pour mieux capturer une ambiance, ou accentuer l'impression de mouvement. Aujourd'hui, malgré quelques similarités toutes relatives dans les méthodes employées, sa démarche artistique est à l'opposé de celle d'un maquettiste. Cette technique est celle qui lui procure le plus de plaisir, mais ses œuvres pourraient tout aussi bien être réalisées sous forme digitale, à l'huile, au pastel, en bois… Ce qui compte, c'est le résultat final et les émotions qu'il véhicule: humour, tendresse et émerveillement. Stig Legrand - Juin 2002 |
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Artiste : Jean-Marie
Anglès, publié dans "Mascotte" |
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