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Sur la côte est, Luke Rhinehart, psychiatre, est en mal d’inspiration. L’ennui pèse chaque instant un peu plus sur ses épaules, qu’il a pourtant fort larges. Les échanges intellectuels avec ses collègues le déçoivent, sa vie privée ne le satisfait pas ni lui ni sa femme, il a du mal à supporter ses enfants, ses patients le fatiguent, son livre sur le sado-masochisme n’avance pas… Il hésite entre le suicide, la dépression et la pratique du zen qui exaspère son entourage. Quelque part en lui, une rage le pousse quand même à chercher la libération, l’épanouissement humain, mais comme il le dit à son mentor le Dr Mann : «Freud m’a donné l’envie de chercher un équivalent philosophique au LSD, mais l’effet de la potion de Freud est en train de disparaître!» Comment se faire sauter la tête avec un dé ? Le déclic se fait un soir de poker, après quelques verres, quand il se retrouve seul : sur la table, il aperçoit un dé dont il n’arrive pas à distinguer le résultat. Pourquoi ne pas confier son destin à ce dé ? Sa vie ne veut plus rien dire, il ne s’y accroche que par peur et par paresse, alors… Si le dé affiche le chiffre un, il descendra violer sa voisine, la femme de son associé Jake Ecstein. Un petit coup de pouce du destin qui n’attendait que ça, et hop, voici le premier acte de l’homme-dé et la genèse d’un mouvement qui va s’étendre à l’échelle planétaire. Dès les premiers jours, Luke Rhinehart choisit d’appliquer ce système aléatoire à la plupart de ces décisions. Il assigne aux probabilités du résultat des scénarios allant du plaisir assuré au risque le plus impensable, des comportements très éloignés de ceux de son personnage habituel, des rôles qui le poussent dans ses derniers retranchements, il joue sa vie sans autre limite que son imagination et le devoir d’obéir aux caprices du hasard dictés par le dé. Face à ces incessants revirements et son attitude incompréhensible, ses proches se posent des questions puis glissent pour un temps dans le désespoir, la haine et la terreur. Tout est dé-stabilisé, les structures explosent, et le dé s’impose aussi dans sa vie professionnelle quand il se lance dans une première étude testant l’impact de la dé-thérapie sur la sexualité des patients. Il suscite l’opprobre de l’association des psychiatres américains qui tente de lui retirer son titre et sa pratique quand éclate le scandale. Pendant ce temps, les disciples du dieu-dé se multiplient de par le monde, le phénomène prenant l’ampleur d’un culte dont les répercussions agitent les esprits, les médias et la société. Les nouvelles dés-personnes ont échangé le carcan de la personnalité définie pour une anarchie jubilatoire rendue possible par l’intervention d’un agent extérieur reconnu : le hasard. Un destin dont le contrôle se perd rapidement quand la personnalité du sujet s’efface devant l’élargissement des possibles, une schizophrénie acceptée comme évolution nécessaire. Source d’inspiration pour de nombreux lecteurs, The Dice-man est toujours d’actualité presque un demi-siècle plus tard. Une émission basée sur son principe a été diffusée pendant trois ans sur le Discovery Channel, mettant en scène deux voyageurs partis à l’aventure autour du monde avec une paire de dés en guise de boussole. Ils ont traversé quatorze pays par les moyens les plus invraisemblables et la chance était avec eux… Dans une société
contradictoire, saturée de messages et pourtant vide de sens,
l’hypothèse du dé qui libère les pulsions
de l’individu devrait pousser les partisans du sacro-saint libre
arbitre à s’interroger. Logique non? |
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Luke Rhinehart
(George Powers Cockroft), «The Dice Man», nouvelle édition
1999 |
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